En réponse aux musulmans de Terrebonne qui réclament dernièrement
un lieu de culte dans la ville, le maire Jean-Marc Robitaille a répondu :
« Les lieux de culte existants ont des droits acquis, […] mais outre ces lieux
établis, nous voulons éviter toute prolifération de ce type d’organismes à
vocation religieuse sur notre territoire »
(« Des musulmans d’ici dans une impasse »,
La Revue, 30 septembre 2015). On se veut une société laïque qui rejette
toute forme de religion, sans discrimination. Mais on a diverses façons
subtiles de favoriser la religion chrétienne par-dessus les autres.
Une façon est de parler de « droits acquis ». Demandons-nous d’abord :
si les Premières nations étaient encore majoritaires sur notre territoire,
parlerait-on plus souvent de leurs « droits acquis » ? Cet enjeu rappelle le
débat sur la regrettée « Charte des valeurs » de l’ancien gouvernement péquiste.
On propose qu’aucun signe religieux ne soit associé au gouvernement. Mais
qu’en est-il des noms de rues, des noms de ville et village, et du crucifix accroché
dans l’Assemblée nationale ? Il n’y a pas de souci, répond-on : il s’agit là de notre
« patrimoine ». En d’autres mots, si vous êtes arrivés ici assez tôt pour fonder
votre ville, votre communauté, votre église, alors votre religion fait partie de notre histoire sacrée ; si vous avez raté la date d’échéance, votre religion n’est plus la bienvenue !
Songeons aux effets néfastes d’une telle politique. Il n’y a pas seulement le fait que,
si un groupe veut vraiment pratiquer sa religion, il va le faire en cachette tout
simplement, sans le consentement des autorités. Il y a derrière la peur des signes
religieux la conviction que les religions n’ont jamais rien fait de bien dans l’histoire de l’humanité. Je ne nie aucunement la violence, l’oppression, et la censure qui ont été engendrées par les religions et auxquelles les religions d’aujourd’hui continuent à être associées. Mais, pas plus qu’il faut lier tout le mal du monde à la religion, il ne faut
pas croire que la religion n’engendre que du mal dans le monde. Or, en interdisant les
signes religieux, ou les lieux de culte, on fait de la religion (et de certaines religions en particulier) un mal par défaut. On continuera d’entendre parler des terroristes « islamistes » bien sûr ! Mais si l’existence visible des musulmans est effacée artificiellement,
on ignorera le bien que fait cette religion et ses représentants au sein de notre
communauté. Désire-t-on qu’un tel biais soit imposé sur la perception publique
et, par extension, dans nos débats politiques ?
En prônant l’interdiction des signes religieux, on discrimine malheureusement
contre ce que le philosophe Charles Taylor appelle les « religions visibles »
au profit des « religions invisibles » dont les adhérents « ne sont pas
identifiables par leur apparence ». La réclamation d’une « société laïque »
est trop souvent un favoritisme voilé pour le christianisme, et c’est le cas
dans l’affirmation récente du maire de Terrebonne. On se permet ce genre
d’argument, non pas parce que nous sommes là depuis plus longtemps, mais
parce que nous sommes majoritaires et nous avons le pouvoir politique. Or,
les droits et libertés ne devraient pas être exercés en fonction de l’influence
du groupe qui les détient. En effet, le seul moment où nos droits comptent
vraiment est le moment où quelqu’un essaie de nous les retirer.